Au pied de la lettre

Au pied lettre

De manière très convaincante, Gérard Louviot incarne l'illettrisme devant la caméra de Marianne Bressy. Il parle vrai car il est passé par là, et il en est sorti, toujours tenaillé par la hantise d'une rechute. En s'exposant ainsi, Gérard rend possible l'empathie de ceux qui ne se sentent pas concernés : nous, qui lisons ces lignes.

L’illettrisme concerne 2,5 millions de personnes en France (majoritairement des hommes). C’est énorme bien sûr, d’autant que si l’on ajoute aux illettrés ceux dont l’incapacité à pratiquer les textes est plus diffuse, cela nous met devant un problème de société de grande ampleur.
Quand la lecture et l’écriture sont hors de portée, la faculté à penser est affectée. L'illettré est coupé des autres, assailli par la peur de ne pas y arriver, une souffrance qui peut conduire à l'agressivité. L’illettrisme représente par conséquent un danger pour le vivre-ensemble, la démocratie. En sortir constitue un enjeu majeur, politique et culturel.

BANDE-ANNONCE

AU PIED DE LA LETTRE

un film de Marianne Bressy (2017)

Retrouvez ici la bande annonce de cette oeuvre (les droits de diffusion sur KuB sont arrivés à échéance).

À certains moments dans ma vie, je me suis senti tellement dépassé que j'étais presque comme à genoux devant les mots, tellement ils étaient obscurs, tellement ils devenaient sacrés aussi, tellement la peur de ne pas les connaître me tétanisait. Gérard raconte sa vie d'illettré, son combat pour exister. Avec lui nous découvrons un monde secret qui se construit dans la honte, là où les gens tombent au pied de la lettre , et se relèvent... À 50 ans Gérard sait enfin lire et écrire. Mais quelle trajectoire pour en arriver là ? Comment exercer un métier, comment réapprendre ? Comment être père et transmettre ? Ce film est le récit initiatique d’un cheminement vers le savoir. Un voyage intérieur pour reconquérir une place dans la société, et redevenir l'acteur de sa propre vie.

ATELIER DOCUMENTAIRE

Près de la douleur

Marianne Bressy, auteure et réalisatrice de Au pied de la lettre, revient sur la genèse et le processus de fabrication de son film.

INTENTION

Sortir de l'illettrisme

Au pied lettre

par Marianne Bressy

Il y a des films qui s'imposent, qui vous tournent autour et qui finissent par vous trouver parce que vous aviez en fait toujours été là, vous aussi, à tourner autour mais sans le savoir...
J'ai beaucoup travaillé sur la thématique de l'immigration.
Mes films abordent les problèmes de la langue, comment se sent-on étranger ? De ce fait sûrement, je ne pouvais pas envisager que des Français, francophones, puissent se sentir décalés, rejetés de leur propre communauté linguistique, et donc s'estimer handicapés, maltraités et honteux.
Et puis un jour, en lisant un article de presse sur la vie de Gérard, j'ai découvert l'illettrisme à travers ses mots, les échecs successifs à l'école et dans la vie professionnelle, comment se cacher de son patron, de ses voisins, pour être vu comme tout le monde, et survivre.
Quand par la suite j'ai évoqué la question, j'ai entendu : L'illettrisme en France c'est terminé ! C'est impossible aujourd'hui de ne pas savoir lire et écrire ! Mes premières recherches m'apprennent que 150 000 à 200 000 bretons sont en situation d'illettrisme. Ce qui représente les populations cumulées des villes de Quimper, Lorient et Saint-Brieuc.


À l'aune de mon territoire, ce chiffre me paraît énorme. Quel voisin de palier, quelle cliente croisée à la boulangerie du quartier, quel inconnu assis à mes côtés dans le train ?
J'ai eu envie d'en savoir plus, et j'ai eu envie que ce soit Gérard qui me l'explique. J'ai trouvé son numéro de téléphone et je l'ai appelé. Je ne savais pas trop comment aborder le sujet, mais il m'a mise tout de suite très à l'aise. Gérard veut partager son histoire, il veut transmettre. Il m'a résumé son passé et m'a décrit la douleur, les manques, mais aussi les déclics, les volontés pour reconquérir, prendre sur soi ou inventer des façons de s'en sortir quand même, et parfois comment grandir et réapprendre.
Il m’a étonné par sa capacité à témoigner, par son amour quasi perfectionniste de la langue, il m’a donné l’énergie nécessaire pour accomplir ce film.
J'ai commencé à regarder Gérard comme un personnage, et à voir derrière la lumière qu'il affiche sa part d'ombre. Gérard a pensé pendant des années qu’il n'était pas normal, qu’il ne valait rien. Et malgré l'amélioration de ses capacités ces dix dernières années, il a toujours du mal à avoir des amis, à partir en voyage, à se confronter au monde. Gérard a peur de l'inconnu, l'autre pouvant faire ressurgir ses incapacités. Pour s'épargner, il sort peu de chez lui, se replie sur lui-même, fusionne avec sa famille.
Côté lumière, Gérard n'en revient toujours pas d'avoir reconquis ce pouvoir sur lui-même. Il peut désormais rêver d'être quelqu'un d'autre, reprendre une formation pour changer de métier. Il a intégré La Chaîne des Savoirs où avec d'autres illettrés, il témoigne de son expérience en public pour aider les autres à s’en sortir.
Cette ambivalence du comportement, entre force et fragilité profonde, allers et retours de la lumière à l'ombre, lui donne l'épaisseur et la beauté d'un personnage complexe et attachant que j'ai eu envie de saisir par le biais du cinéma. Ma présence, ma caméra, l'encouragent à faire le point, comme si je lui permettais de mettre des mots là où il a du mal à ressentir, l'aidant à prendre conscience. Faire un documentaire sur Gérard, c'est donc assumer le rôle qu'il m'a donné dans notre relation, et filmer cette intimité. C'est l'aider à dire je sans masquer ma présence et sans prendre sa place.
Un de ses jeunes fils a les mêmes difficultés que Gérard pour apprendre. Brian est son portrait, son miroir dans le passé. Il me donne à voir ce que l'illettrisme a façonné chez Gérard : une personnalité complexée, bien plus qu'un déficit de la langue. Faire un documentaire sur Gérard, c'est donc aussi regarder Brian pour percevoir ce qui s'est joué à l'intérieur et les efforts nécessaires pour se reconstruire.
À travers ce film intimiste, presque introspectif, j’ai voulu regarder et faire voir l'illettrisme : à ceux qui le subissent montrer leur courage, à ceux qui les ignorent leur existence et à ceux qui les oublient leur devoir. Cette envie a donné naissance au documentaire Au pied de la lettre.


Filmeuse/filmé, quel rapport ?

Au pied lettre

Ce travail de cinéaste, parce qu'il est patient et attentif, ouvre les portes de l'amitié. Il est impossible de ne pas rendre compte de la relation particulière que Gérard et moi avons développée. Il me dit que je suis sa meilleure traductrice, que je le devine presque autant qu'il se connaît lui-même. Quand nous sommes seuls tous les deux, c'est à moi qu'il demande de l'aide. Dans sa rencontre avec les autres, il se tourne souvent vers moi avec des regards complices ; j’ai gardé à l'image ces signes de connivence. Ma caméra lui permet d'extérioriser ce qu'il pense, mais aussi de se présenter à l'autre. Il justifie ma présence, il l'explique et se faisant, se raconte.


Pour autant, parfois il me résiste. Il refuse de me montrer ses doutes, ses difficultés, ses peurs. Enraciné dans l'illettrisme, il n'accepte pas de me donner cette image qu'il a de lui-même et qu'il trouve laide. Ce miroir, il ne veut pas que je le lui tende. Pourtant ces refus, il me laisse les filmer, il veut bien m'en parler. Ce faisant, il se révèle ; ces scènes deviennent le symbole de ses paradoxes, le cœur de la problématique de l'illettrisme mis à jour. Ma présence à ses côtés crée aussi l'événement. Gérard veut me faire découvrir le centre d'apprentissage des maîtres-chiens. Pendant notre visite, il apprend que sa jeune chienne est déclarée apte, ce qui va précipiter une entrée en formation que Gérard avait initialement programmée deux années plus tard. De même, sa femme organise un repas en amoureux dans un restaurant pour que je puisse filmer leurs échanges. Je ne filme plus seulement leur réalité, je la transforme tout en me laissant guider par leurs envies, leur vérité. Le film devient le lieu de cet échange, il se fait avec eux. Sa famille elle aussi me reçoit avec les mêmes égards. Je serai l'invitée à qui l'on réserve une place à table. L'invitée à qui les enfants sourient et à qui l'on s'adresse de temps en temps, la caméra filmant ces échanges. Toutefois je ne suis pas présente physiquement à l'écran, et puisqu'il s'agit avec ce film de donner la parole à ceux qui n'ont jamais su ou jamais pu la prendre, il n'y a pas de commentaire en voix off de ma part.

BIOGRAPHIE

MARIANNE BRESSY

Marianne Bressy au pied de la lettre

Avant de réaliser des films documentaires, Marianne Bressy a longtemps utilisé la photo puis la vidéo. Elle réalise des clips, est VJ (Vidéo-Jockey) en live avec le retour direct du public. De ce premier chapitre de sa vie, elle a gardé des envies de poésie et d’images brutes.

Le documentaire s’est imposé quand elle a voulu être entendue plus fort que la musique. J’avais des choses à dire, à défendre. Je ne voulais plus seulement illustrer, mais être au cœur des choses, donner du sens. Le réel intervient alors comme un arc narratif évident. Comme l’âme humaine et sa singularité la passionnent, elle se tourne vers le portrait documentaire.

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BIOGRAPHIE

GÉRARD LOUVIOT

Au pied lettre

par Marianne Bressy

Le présent de Gérard est le temps de la réussite, de la flamboyance. Il sait lire, il vient de terminer son deuxième roman, il peut écrire et compter. Il travaille, est marié et a quatre enfants. Il est propriétaire de sa maison. Pourtant dans le secret de nos discussions, il me parle de la peur panique qui ne le quitte jamais: J'ai beau être un grand costaud j'ai peur de tout ! L'inconnu tétanise Gérard, le moindre changement grippe toute la machine. Il faut alors que tout soit organisé bien à l'avance pour que le stress énorme qui l'habite ne prenne pas toute la place. S'il doit faire un déplacement en voiture, il passera des heures à apprendre par cœur la feuille de route qui le mènera sur des chemins inconnus.
Gérard sait lire mais l'agitation, le regard d'un inconnu, un rien peut bloquer ses capacités. Il ne rédige aucun chèque, ne remplit pas ses papiers, ne prend pas de rendez-vous téléphonique parce que devant la présence de l'autre, il perd tous ses moyens. J'ai l'impression de redevenir un enfant, d'être un gros nul, celui que j'ai toujours été.

REVUE DU WEB

Gérard, fou des mots

France Inter >>> Gérard Louviot au micro de Sandrine Oudin : Ne pas savoir lire ni écrire, c'est comme si tu avais un bras en moins, sauf que ça ne se voit pas et l'invisibilité rend les choses plus terribles, une maladie qu'il faut absolument cacher même si ce n'est pas contagieux.

Le Télégramme >>> Gérard Louviot se comporte comme un miraculé. Indiana Jones du quotidien, son temple maudit à lui n'est pourtant pas spécialement exotique. Aventurier des mots, il en recopie dix par jour. J'adore me battre pour les comprendre !

Ouest France >>> Le petit Gérard n'ira jamais en CP. Direction l'Institut médico-éducatif, qui accueille des handicapés. J'ai appris à empailler des animaux, faire des cadres avec des fleurs... Pas à lire, ni à écrire. À 14 ans, il entame une formation, puis obtient son CAP de boulanger. J'ai enregistré les questions qu'on allait me poser, les réponses... et j'ai tout appris par coeur ! Même chose pour le code du permis de conduire.

Au pied de la lettre >>> Le site internet du film

COMMENTAIRES

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    Marianne Bressy au pied de la lettre

    Marianne Bressy

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